Aujourd'hui je sors des sentiers battus et je vous parle d'un sujet qui me tient à cœur : à qui devrait revenir le droit "d'accoucher" ?
Actuellement, au Québec, la loi prévoit que l'accouchement est un acte réservé aux médecins et aux sage-femmes. Mais est-ce que ce n'est pas la femme enceinte qui accouche ? Ok, je sais, vous allez me dire que je joue avec les mots. C'est certain que la femme enceinte accouche, et que le médecin et la sage-femme sont les seuls à pouvoir poser des actes "médicaux" reliés à l'accouchement. Mais poussons la réflexion un peu plus loin...
Accoucher n'est pas un acte médical...
Je vous donne un exemple concret : de nombreuses femmes au Québec n'ont pas accès à l'assurance maladie (RAMQ) pour diverses raisons et ne peuvent pas se permettre de payer les frais reliés à un accouchement en centre hospitalier (la facture pouvant s'élever à 10 000$). Elles sont donc contraintes d'accoucher seules chez elles. Si une autre femme, amie ou membre de la famille lui apporte un soutien émotif et lui transmet de l'information sur une grossesse en santé, l'accouchement physiologique ou la gestion de la douleur avant l'accouchement, est-ce qu'elle usurpe le titre de sage-femme ? Bien sûr que non... Maintenant si cette même amie apprend que la femme enceinte est en train d'accoucher chez elle avec son conjoint et qu'elle se rend au domicile pour lui apporter encore son soutien, est-elle en tord ? Probablement pas... Et si cette personne est une doula, est-ce qu'elle se prend pour une sage-femme ? Selon moi, elle se prend pour une doula, et elle souhaite simplement jouer son rôle, soit apporter son soutien émotif et informatif au couple et à la femme en travail. La femme enceinte est la seule à pouvoir mettre son enfant au monde dans ce contexte. Et la doula ne devrait pas être "punie" pour avoir offert son soutien à une femme en travail.
Au Québec, de nombreuses femmes font le choix d'accoucher à la maison, sans la présence d'un médecin ou d'une sage-femme (ce qu'on appelle un ANA ou accouchement non assisté). Pour certaines, c'est un choix imposé par l'absence d'une couverture par la RAMQ (pensons aux milliers d'immigrantes qui sont arrivées dans les dernières années au Québec). Pour d'autres, c'est un choix délibéré. Elles font ce choix en toute connaissance des risques et croient que c'est le choix le plus sécuritaire pour leur santé et celle de leur bébé à naître. D'ailleurs, qu'on soit d'accord ou non avec ce choix, toutes les femmes ont le droit de choisir le lieu de naissance de leur enfant. Si cette femme et son conjoint sont seuls lors de la naissance, est-ce que le conjoint devrait être accusé d'usurpation de titre ? Ce serait ridicule n'est-ce pas ! Si le couple demande la présence d'un membre de la famille, d'une amie ou d'une doula, ces femmes devraient-elles refuser d'être présentes parce qu'elles ne sont pas sage-femmes ou médecin ? Je ne crois pas...
Accoucher n'est pas un acte médical, c'est un acte féminin puissant, d'une grande intensité et d'une grande beauté. Mais c'est n'est pas un acte médical...
En comparaison :
Est-ce qu'une maman qui prend la température rectale de son bébé pose un acte médical réservé aux infirmières ? Bien sûr que non, c'est son bébé. Pourtant, selon le code des professions, "introduire un instrument [...] au-delà du vestibule nasal, des grandes lèvres, du méat urinaire, de la marge de l’anus ou dans une ouverture artificielle du corps humain" est un acte réservé aux infirmier(e)s (et à d'autres professions).
Est-ce qu'une personne diabétique qui s'injecte de l'insuline usurpe le titre d'un infirmier ou d'un médecin ? Selon le code des professions, "administrer, par des voies autres que la voie intraveineuse, des médicaments ou d’autres substances, lorsqu’ils font l’objet d’une ordonnance" est aussi un acte réservé aux infirmier(e)s (et à d'autres professions). Vous allez me dire que ça ne compte pas puisque la personne s'auto-administre sa propre médication... oui ! Tout comme une femme fait naître son propre enfant. Les témoins de ces deux événements ne posent pas l'acte à la place de la personne...
Est-ce que quelqu'un qui porte secours à une femme dont l'accouchement précipité se passe dans sa voiture en route vers l'hôpital pourrait se faire accuser d'usurpation de titre ? Bien sûr que non, il serait protégé par la loi du bon samaritain...
Au début du mois de mars, le mouvement "c'est assez" est né pour dénoncer les poursuites contre des personnes (doulas dans ce cas précis) qui auraient posé des actes réservés aux sage-femmes (consultez leur page ici). Dans cette vague, je vais donc me dénoncer moi-même puisque lors de ma dernière grossesse, je me suis fait des touchés vaginaux à moi-même et j'ai écouté le cœur de mon bébé à l'aide d'un foetoscope. Vous me direz que j'ai le droit puisque c'est mon corps ? Ok... donc je vais aussi dénoncer mon mari qui, dans l'idée d'une prise en charge consciente et partiellement autonome de notre grossesse et de la naissance de notre enfant, m'a fait des touchés vaginaux lors de la grossesse et de l'accouchement et a lui aussi écouté le cœur du bébé grâce à un foetoscope. Devrait-il être accusé d'usurpation de titre lui aussi ?
Accoucher n'est pas un acte médical
Bien sûr, poser des actes médicaux (par exemple utiliser une ventouse) pour assister une femme en travail ou son bébé dont la vie est en danger, c'est un acte médical réservé aux médecins ou aux sage-femmes.
Accoucher, non.
Accoucher, c'est vieux comme le monde, c'est primitif, c'est un acte vécu par les femmes, entourées de femmes depuis toujours. C'est seulement depuis un peu plus de 100 ans que les femmes accouchent dans les hôpitaux. Et si certaines femmes font le choix d'accoucher de manière instinctive, chez elles, les personnes qui l'entourent n'accouchent pas la femme en travail. Elles apportent un soutien émotionnel, informationnel et peut-être logistique. Mais la seule personne qui peut faire naître son enfant, c'est la femme en travail. Et c'est elle qui peut choisir qui l'entourera le moment venu. Si elle souhaite la présence d'une doula, celle-ci ne devrait pas être accusée de pratique illégale de la pratique sage-femme. Laissons les femmes accoucher comme elles le souhaitent.
Pour terminer, une petite réflexion :
Peut-être devrions-nous changer notre vocabulaire et dire qu'on enfante, et non qu'on accouche. D'ailleurs, le terme accoucher signifie "se coucher" ou "s'aliter", termes assez passifs. Si vous avez déjà vu un accouchement instinctif, vous savez que la femme en travail est tout sauf passive, et elle n'est pas couchée. Elle danse avec son bébé qui se fraie un chemin vers notre monde. Alors laissons les médecins accoucher, et laissons les femmes enfanter entourées des personnes de leur choix.
Qu'en pensez-vous ?
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